Le vaste poème épique de Ludovico Ariosto (1474-1533), Orlando furioso, publié en 1516 (réédité en 1521 et 1532), a été conçu à la cour de Ferrare – l’une des cours les plus sophistiquées de l’Europe d’alors. L’épopée de ce champion du renouveau poétique paraît au même moment que l’Éloge de la folie d’Érasme, Le Prince de Machiavel et l’Utopie de More.
Au cours d’un de ses voyages en Orient, le paladin Roland, neveu de Charlemagne, tombe amoureux de la belle Angélique, une princesse chinoise. Cet amour le rend fou (furieux) lorsqu’il découvre qu’elle aime le soldat sarrasin Médor. D’autres chants du poème racontent l’enchantement de Roger, cousin de Roland, par la magicienne Alcine et sa libération de l’île où elle l’a emprisonné, ou encore les somptueuses noces du même Roger avec la guerrière chrétienne Bradamante.
L’ Orlando Generoso d’Agostino Steffani (1654 1728) est créé en 1691 au théâtre de Hanovre, cour où le compositeur se trouve depuis 1688 en tant que maître de chapelle. Les opéras donnés dans cette ville offrent le meilleur de la production lyrique de ce contemporain d’Alessandro Scarlatti. L’ouverture de cette pièce montre clairement l’influence du modèle français : Steffani a résidé à la cour de Louis XIV en 1678 et 1679 et a ainsi pu se familiariser avec le style de Lully. Dans l’air du valeureux Roger, Non ha il mar calma sincera, transparaît l’influence expres sive de l’opéra vénitien, de Cavalli à Legrenzi. On notera en outre la conduite rigoureuse de la mélodie vocale dans le tissu contrapuntique. Le bref air Fa che cessi, chanté également par Roger, précède la scène où il monte sur un cheval ailé au secours d’Angélique (chant X). Les ritournelles jouées par les deux hautbois et le basson, qui ponctuent et imitent la mélodie de la ligne vocale, ainsi que les chromatismes expressifs renforcent le caractère dramatique du texte chanté.
La sérénade L’Angelica du compositeur napolitain Nicola Porpora (1686-1768) est donnée à Naples en 1720. C’est dans cette pièce scénique qu’un des meilleurs élèves de Porpora fait ses débuts : le chanteur Carlo Broschi, mieux connu sous le nom de Farinelli, alors âgé de quinze ans. Le texte de cette œuvre a été écrit par Pierre Métastase. Il s’agit de son premier livret destiné au drame musical ainsi que de sa première collaboration avec ce compositeur. La douceur des rythmes pointés des violons qui accompagnent la ligne vocale attendrissante de l’air de Licori, Ombre amene, traduit musicalement l’union de la nature (les plantes, le zéphyr) et des sentiments amoureux de la bergère. Le récitatif accompagné Ove son ? Chi mi guida ?, suivi du bref air Da me chè volete, infauste comete ?, met en musique le moment où Roland découvre les noms entrelacés d’Angélique et du sarrasin Médor, gravés sur les arbres (chant XXIII). Roland, envahi d’une rage autodestructrice, plonge dans le désarroi et le délire héroïque (chant XXIV).
L’ Orlando furioso de Antonio Vivaldi, créé en 1727 au théâtre Sant’Angelo de Venise, est l’un des plus beaux exemples de son tempérament dramatique. Le compositeur met en pratique les préceptes de la réforme du livret d’opéra (unité du lieu et de l’action, du merveilleux et du tragique) qui ont abouti à la structuration de l’opera seria au début du XVIIIe siècle par les membres de l’Arcadie. Aussi Vivaldi tente-t-il d’opposer au modèle d’opéra napolitain, tourné entièrement vers l’exhibition vocale et qui s’est imposé à Venise dans les années 1720, un opéra vénitien renouvelé où fusionnent théâtre et musique grâce à des moyens musicaux plus variés où l’expression dramatique prime. L’air Sol da te, mio dolce amore, quant à lui, est l’un des sommets lyriques de cet opéra. Le solo de flûte traversière accompagné par les pizzicati des cordes traduit les frémissements de l’âme de Roger, provoqués par l’envoûtement d’Alcine (chant VII). C’est le cas de l’air de Roland, Nel profondo cieco mondo, où Vivaldi exploite toutes les ressources théâtrales et musicales de l’aria da capo (forme musicale qui domine alors l’opéra): virtuosité vocale, unissons, insistance dramatique des motifs rythmiques, rapidité de l’accompagnement instrumental. Tout concourt à représenter l’agitation des sentiments amoureux du personnage.
En 1735, année de la création de son Alcina (opéra inspiré également du récit de l’Arioste), l’Ariodante de Georg Friedrich Haendel est donné à Covent Garden. Il s’agit de l’une des œuvres lyriques les plus célèbres du compositeur. L’ouverture à la française (lent-rapide-lent) de ce drame musical montre non seulement la maîtrise du style français par le compositeur allemand, mais également la manière dont les styles nationaux circulent et se transforment à travers l’Europe à l’époque des Lumières. Quant aux airs du malfaisant et intrigant Polinesso, Spero per voi et Dover, giustizia, amor, leur ligne vocale virtuose, leur caractère triomphal ainsi que la force rythmique de l’accompagnement orchestral – notamment de la basse continue –, montre la volonté du personnage de conquérir le trône d’Écosse par la calomnie (chants IV-VII).
L’ Orlando de Haendel est créé à Londres en 1733. L’air Cielo! Se tu il consenti, se suivra du récitatif accompagné Ah, stigie larve ! suit plusieurs séquences dramatiques qui mettent en scène les hallucinations de Roland. L’amant trahi plonge dans une folie abyssale qui oscille entre fureur et pitié. Le rôle dramatique de l’orchestre est ici remarquable.
Jorge Morales