Festival BACH de lausanne
Baroque Academy

Editorial 2022

 

« ALL BACH » 

 

À propos des œuvres et des interprètes

 

Intégrale des œuvres orchestrales : des chefs-d’œuvre absolus !

Les compositions orchestrales de Bach montrent tout ce qu’il a retenu du style concertant italien et français où se manifeste l’influence des Corelli, Vivaldi, Albinoni, Telemann, Graupner, Heinichen, Haendel, entre autres, et Lully, avec évidence. L’imagination hors pair de Bach s’est retrouvée incroyablement enrichie, d’abord par la forme concerto qui n’existait encore qu’à l’état latent et qu’il va transformer dans les concertos pour solistes, les concerti grossi et les Ouvertures pour orchestre. Bach a pris pour modèle le type de concerto avec lequel il s’était familiarisé dès son jeune âge, surtout à l’époque de Weimar, qui précède la période de Köthen au cours de laquelle il écrit les Brandebourgeois, notamment. Mais si on le compare à ce qu’il en fait, le modèle italien ne semble au départ qu’un simple squelette. Entre ses mains, le concerto devient une composition totalement personnelle, caractérisée par la concision des thèmes, la clarté de la forme et l’ampleur de l’écriture contrapuntique. Si le renforcement de la polyphonie a inévitablement tendu à obérer le contraste tutti-solo, l’augmentation de la complexité formelle est contrebalancée par la forme da capo qui transforme la forme ritornello en une structure tripartite bien unifiée, comme on peut le constater dans plusieurs Concertos brandebourgeois. Dans les concertos, on distingue le concerto pour solo instrumental avec orchestre et les concerti grossi ou Gruppen Concerto.

 

Quatre Ouvertures/Suites pour orchestre

Si, à l’époque baroque, en Allemagne notamment, elles sont nommées Ouvertures, de nos jours, on les appelle plutôt Suites. Les 4 Ouvertures orchestrales pour cordes et diverses combinaisons d’instruments à vent (bois, cuivres et timbales) portent à leur perfection la Suite orchestrale et la Suite de chambre (concerts 1, 3 et 8). Chacune d’entre elles débute par une grande Ouverture à la française, notamment inspirée par celles de Lully que Bach a côtoyées dès son adolescence, notamment à Lüneburg, dont les sections fuguées sont ingénieusement modifiées par le style de concerto, et qui constituent en quelque sorte le pendant des mouvements des concertos fugués, comme en témoignent les Concertos brandebourgeois. L’Ouverture en Do (BWV 1066), est composée dans les dernières années de Köthen (1717-1723) ou au début de Leipzig (1723-1725), tandis que l’Ouverture en si (BWV 1067), la plus accomplie, avec la partie virtuose de la flûte traversière concertante, devrait dater de 1738/1739. Celle en Ré (BWV 1068) repose sur une œuvre originale avec violon concertant et le décor instrumental à vents n’a été, lui aussi, ajouté que plus tard ; les deux hautbois servent simplement à renforcer les cordes. Et la combinaison de trompettes et de timbales souligne le contenu musical pour mieux stabiliser la forme, avec appui de motifs au début de l’œuvre, d’importantes cadences et dans la conclusion. Dans les successions de danses, Bach se montre sous son humeur la plus enjouée, et l’on peut supposer qu’il tenait en haute estime ces musiques d’orchestre et de chambre puisqu’il y reviendra constamment plus tard, à Leipzig. Effectivement, lorsqu’il aura besoin de musiques nouvelles pour ses cantates hebdomadaires, il réarrangera parfois sa propre musique pour d’autres dispositions instrumentales ; il lui arrivera même d’insérer un chœur de cantate au sein d’une structure instrumentale extrêmement dense, avec une habileté étonnante qui défie toute description, comme c’est le cas de la Cantate 110 que le concert vous fait ici découvrir à merveille. (concerts 2, 3 et 8)

 

Six Concertos brandebourgeois pour diverses formations instrumentales

La complète réalisation du continuo et de l’écriture contrapuntique n’est nulle part plus évidente que dans les 6 Concertos brandebourgeois qui sont de la musique de divertissement du plus haut niveau. Leurs combinaisons instrumentales extrêmement variées prolongent la tradition de l’école de Venise de Vivaldi, entre autres, encore que l’importance donnée aux instruments à vent soit un héritage typiquement allemand, provenant de la musique des Stadtpfeifer (fanfares municipales) que Bach connaissait dès son enfance, notamment grâce à son père qui a exercé ce métier. Bach fait ici appel à la tromba/trompette (2e Concerto), à la flûte à bec (4e Concerto), au violino piccolo (accordé une tierce mineure au-dessus de l’accord normal), associé aux cors et aux hautbois (1er Concerto), tandis que, pour le 5e Concerto, il allie le clavecin à la flûte et au violon. Pourtant il lui donne une telle importance à la partie de clavier qu’on doit le considérer comme le premier véritable concerto pour clavecin. Avec leurs thèmes concertants merveilleusement équilibrés, leurs contrepoints colorés, mais toujours solides, et leur exubérance rythmique, les Concertos brandebourgeois sont bien les concerti grossi les plus inspirés et les plus complexes de l’ère baroque. (concerts 1 et 8)

 

D’irrésistibles concertos pour solistes et orchestre

Parmi ces concertos, on peut en admirer 4 pour violon (BWV 1041 à 1043 et BWV 1045, ce dernier resté à l’état de fragment) et un pour oboe d’amore/hautbois d’amour (BWV 1055R). Le concerto pour deux violons (BWV 1043), dont la date de composition est inconnue, probablement avant 1731, que Bach devait transcrire quelques années plus tard pour deux clavecins, est sans aucun doute une œuvre de grande maturité, conjuguant un éminent stilo antico et une polyphonie achevée. La beauté du 2e mouvement, proche d’un duo d’amour opératique, préfigure déjà le style rococo ou préclassique germanique.

De nombreuses partitions ont hélas été perdues. Mais parmi tous les concertos qui nous sont parvenus, il faut citer ceux pour le clavecin (BWV 1052 à 1058, ainsi que le fragment du BWV 1059), probablement composés ou arrangés vers 1738 pour le Collegium Musicum de Leipzig et qui sont en réalité des compositions de Bach transcrites par lui-même. Quant au Concerto pour clavecin en sol (BWV 1058), il provient du Concerto pour violon en la (BWV 1041), composé 8 ans plus tôt. Son 3e mouvement est régi par un spectaculaire jaillissement rythmique de gigue, parsemé de passages fugués.

La transcription pour orgue du BWV 1055R est un arrangement du Concerto pour oboe d’amore (la partition originale est perdue), instrument créé autour de 1720. On suppose que Bach a commencé à l’écrire pour cet instrument à peu près à la même période, c’est-à-dire entre l’époque tardive de Köthen et le début de Leipzig. Pour le 2e mouvement, le hautboïste et musicologue américano-canadien Bruce Haynes suggère d’insérer la Sinfonia, d’une gravité poignante, de l’Oratorio de Pâques (BWV 249/2), plutôt que le 2emouvement du concerto pour clavecin (BWV 1055/2) que Bach ajoutera plus tard. (concert 3)

 

Un art fascinant de la transcription

Le Lausanne New Baroque a eu l’idée de reconstituer un nouveau concerto/suite pour 2 solistes (orgue et clavecin) et orchestre à cordes, en rassemblant des mouvements d’autres concertos perdus, fragmentaires, ou de cantates, dans une cohérence stylistique propre à Bach.

Pour autant que le style soit respecté, les œuvres de Bach sont probablement les compositions qui résistent le mieux aux transcriptions de toutes sortes. Cette musique est incroyablement solide et quasi indestructible : toutes les adaptations de Bach restent toujours fascinantes et donnent de nouveaux caractères, de nouvelles couleurs et pulsations.

De sorte que l’art de la transcription et de la reconstitution à partir de ses compositions est presque inépuisable — pour autant que l’auteur nous le « permette », comme le dit Stravinsky à propos de son Arrangement pour chœur et orchestre des Variations canoniques sur le choral Vom Himmel hoch da komm ich her, BWV 738, initialement écrites pour orgue : « Mit der Genehmigung des Meisters » — « Avec l’aimable autorisation du Maître »…

 

Une indicible musique de chambre

Les plus grands monuments de la musique polyphonique pour cordes sont indéniablement les 6 Suites pour violoncelle seul (concert 4) et les 6 Sonates et partitas pour violon seul (concert 7), ces dernières consistant en 3 sonates d’église (les sonates proprement dites) et 3 sonates de chambre (les partitas). Leurs redoutables difficultés techniques, en particulier l’emploi fréquent de doubles, triples et quadruples cordes, ne sont pas seulement des traits de virtuosité, mais résultent de la complexité d’idées musicales particulièrement extraordinaires. Dans le dessein de faire entendre coûte que coûte la polyphonie, Bach semble avoir transcendé les limites techniques de l’instrument, utilisées ici avec une puissance inouïe.

La grandiose Chaconne en ré de la Partita 2, BWV 1004, est construite sur le rythme traditionnel de la sarabande, danse lente ici « chaconnisée » en une magnifique série de variations, comme dans les chaconnes de Lully, de Purcell ou dans la Passacaglia de Biber. Au début de la partie centrale, de brusques passages frissonnant en modes opposés ordonnent, en une grande forme tripartite, 34 variations, à la manière de la Passacaille pour orgue. (concert 7)

La musique de chambre de Bach est un des sommets de la période de Köthen et de Leipzig. Bach compose la majorité de ses sonates, non pour deux instruments mélodiques et continuo, mais pour un seul instrument mélodique et clavier obligé. Il semble trop aimer les claviers pour se contenter de leur laisser uniquement la réalisation de la basse continue : ses sonates sont ainsi de véritables sonates en trio écrites pour deux instrumentistes, Sonata auf Concert Art, selon la dénomination de l’époque. En comparaison, les trios pour orgue (les deux mains sur deux claviers, les deux pieds sur le pédalier) sont joués par une seule personne ! Le miracle des six Sonates pour « Clavecin concertant et violon seul » (concert 6) tient autant à leur éblouissante écriture contrapuntique dans un style concertant qu’à leur grande richesse expressive au lyrisme débordant. Elles n’ont pas d’égal dans toute la littérature de la sonate en solo ou en trio.

 

Les cantates de la maturité à l’époque de Leipzig

La charge officielle de Cantor à Leipzig exigeait une nouvelle cantate pour chaque dimanche et pour chaque jour de fête de l’année liturgique. D’après le Nekrolog (Bach-Dokumente III, p.666), Bach, dans les derniers cycles complets de cantates, en a composé environ 300 mais seules quelque 180 nous sont parvenues. Elles suffisent cependant et amplement à nous montrer comment Bach, dans sa pleine maturité a su élargir et approfondir la forme de la cantate dans une fusion de formes tout à la fois anciennes et nouvelles.

Dans les années postérieures à 1730, alors qu’il ne disposait que de quelques chanteurs, Bach se tourne plutôt vers la cantate pour solistes où il s’autorise une plus grande virtuosité vocale, avec des formes et styles profanes, ainsi que des motifs d’art scénique aux dépens du choral.

L’alternance de parties vocales et instrumentales et la circulation de la mélodie de choral à travers les mouvements sont les principales particularités de la cantate-choral, des récitatifs-chorals, des arias-chorals, des concertos-chorals avec la forme du grand da capo de l’opéra, des chaconnes-chorals, des sinfonias-chorals, ainsi que les divers types de chorals pour orgue adaptés à des formes vocales.

La Cantate 110, composée pour le jour de Noël 1725, célèbre de manière très festive la naissance de l’enfant Jésus. Le chœur initial reprend la forme d’une majestueuse Ouverture à la française lullyste, et Bach recourt à une Ouverture/Suite orchestrale datant de la période de Weimar ou de Köthen, où l’on reconnaît celle en Ré, BWV 1069. (concert 2)

Pour quelques airs, il reprend la première version du Magnificat, BWV 243a, datant de 1723, et que par ailleurs l’on entendra neuf ans plus tard dans l’Oratorio de Noël, BWV 248.

 

L’Oratorio de Noël

Cette œuvre lumineuse, composée en 1734/35 et que l’on compte fréquemment parmi les œuvres de grandes dimensions, consiste en une suite de 6 parties/cantates indépendantes pour les 6 jours de fêtes consécutifs marquant la naissance de Jésus. Elle est formée, dans sa quasi intégralité, de pièces appartenant à des cantates profanes et autres sérénades, écrites notamment à l’occasion d’anniversaires et de mariages, à Weimar, Köthen et Leipzig. (concert 5)

On a souvent regretté que Bach n’ait pas eu l’opportunité d’écrire un opéra : c’est dans ses cantates profanes qu’il s’approche le plus de ce genre, la plupart d’entre elles portent l’appellation de dramma per musica où le contrafactum — cet affetto fondamental qui régit toute musique, qu’elle soit profane ou sacrée — constitue un élément essentiel de la musique baroque.

À l’instar des autres oratorios, les chœurs initiaux des cantates 1, 3 et 5, ainsi que la plupart des airs proviennent de cantates profanes préexistantes (BWV 213 et 214). Bach possède une telle habileté ingénieuse et une intelligence si phénoménale que les nombreuses pages parodiques s’intègrent parfaitement à l’ensemble de l’œuvre, où l’on ne décèle aucune rupture de style.

 

À propos des interprètes

L’intégrale des Ouvertures/Suites et des 6 Concertos brandebourgeois se partage entre 3 ensembles qui les exécuteront avec des effectifs de musiciens et des conceptions interprétatives assez différentes. Pour le concert d’ouverture (concert 1), nous retrouvons La Petite Bande de Sigiswald Kuijken, l’un des plus grands pionniers de la musique ancienne, véritable icône parmi les infatigables chercheurs « historiquement informés ». C’est à cet ensemble qui célèbre cette année son demi-siècle et à son fondateur que nous voulons rendre un vibrant hommage.

C’est ensuite un nouvel ensemble que nous accueillons, le Lausanne New Baroque (concert 3), fraîchement constitué par le talentueux chef Denis Fedorov, Lausannois originaire de Sibérie, passionné de Bach depuis son enfance, et qui, au-delà de l’absurdité d’une guerre fratricide, a choisi comme Konzertmeister Vitaliy Shestakov, originaire de Kiev, Pavao Mašić, claveciniste originaire de Zagreb et lauréat du « Grand Prix Bach de Lausanne », ainsi que d’autres instrumentistes de renommée internationale, tous spécialistes de musique ancienne, provenant des quatre coins du monde, notamment Jan De Winne et Marcel Ponseele,  tous deux chefs du remarquable ensemble Il Gardellino, et Bálazs Máté qui nous a offert en 2010 un inoubliable récital des Suites pour violoncelle. Ce nouvel ensemble est prêt à s’attaquer à deux fabuleuses Ouvertures, les BWV 1066 et 1067, ainsi qu’à des transcriptions/reconstitutions — une rareté à découvrir absolument !

Pour le concert de clôture, nous retrouverons Christophe Rousset et ses Talens Lyriques (concert 8), ardents défenseurs des divers styles de musique ancienne. Après leur vif succès de l’Oratorio de Noël dans sa version intégrale, de l’Oratorio de Pâques et du Magnificat de Bach, ils nous reviennent avec des œuvres purement instrumentales, et avec un effectif plus grand que celui des autres ensembles. Nous sommes persuadés que leur esthétique flamboyante constituera un moment fort, notamment dans les deux grandes Ouvertures/Suites (BWV 1068 et 1069).

Pour la musique de chambre, nous avons choisi l’intégrale des Suites pour violoncelle par Sergey Malov (concert 4) au violoncello da spalla, un instrument qui, avec le concert d’ouverture, fait sa première apparition au Festival Bach et qui devrait, à n’en pas douter, passionner notre public. Ce virtuose présentera ces chefs-d’œuvre avec la fulgurante concentration, la souplesse et la brillante aisance qui lui sont reconnues. Quant au violon seul, notre choix s’est porté sur Lina Tur Bonet, qui nous convaincra par son jeu merveilleusement subtil et sa surprenante intensité musicale. (concert 7)

Pour l’intégrale des 6 Sonates pour violon et clavecin (concert 6), nous avons le privilège d’accueillir Erich Hoebarth, soliste de grande renommée et également Konzertmeister du Concentus Musicus Wien sous la direction de Nikolaus Harnoncourt, et actuellement sous celle de son successeur, Stefan Gottfried. Au clavecin, Aapo Häkkinen revient cette année, après avoir dirigé, en 2021, le Helsinki Baroque Orchestra dans la Passion selon Matthieu qui a suscité un grand retentissement auprès de notre public. On ne pouvait rêver mieux que ce duo d’exception.

Longtemps attendu, le célèbre Bach Collegium Japan dirigé par Masaaki Suzuki (concert 2) fait enfin sa première apparition au Festival Bach avec un programme ingénieusement construit, fait de trois magnifiques cantates et mettant par ailleurs en passionnante perspective l’Ouverture de la Suite en Ré (BWV 1069) et le chœur initial de la Cantate 110, deux formes différentes de la même musique !

Avec l’Oratorio de Noël, un des plus grands chefs baroques, Michael Hofstetter, se produit lui aussi pour la première fois au festival (concert 5). Qui plus est avec le Tölzer Knabenchor dont il faut redire l’excellence incomparable du travail vocal. Le meilleur chœur d’enfants au monde nous revient pour une 6e invitation avec le Concerto Köln qui est l’un des meilleurs ensembles baroques. Que souhaiter de mieux ?

 

À notre public

Sous la plume de Johann Nikolaus Forkel (1749-1813), le premier biographe de Bach (Über Johann Sebastian Bachs Leben, Kunst und Kunstwerke, Leipzig, 1802) on lit : « Er legte nämlich, so wie alle wirklichen großen Genies, niemals die kritische Feile aus der Hand, um seine schönen Werke, schöner und die schöneren zu den schönsten zu machen » (« Comme tous les véritables grands génies, Bach n’abandonne jamais son sens critique, afin de rendre ses belles œuvres plus belles et de faire des œuvres plus belles, les plus belles. »)

Au seuil du 25e anniversaire de notre festival en 2023, dont le thème sera « Bach et le théâtre musical », réjouissez-vous pleinement, chères auditrices et chers auditeurs, de notre captivante édition 2022, « All Bach ! », entièrement dédiée à ce compositeur inégalable que l’on ne cesse d’admirer.

 

 

 

 

 

Kei Koito
Fondatrice & directrice artistique du Festival
www.kei-koito.com

 

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